vendredi 22 novembre 2013

Papa

Tu es parti un soir de Juin.
Cela fait un peu plus de 6 ans.
Tu es parti sans crier gare, tu aurais pu prévenir quand même, on aurait encore eu des choses à se dire avant ton départ.
On serait baladés les pieds dans l'eau, on se serait fait un bon resto.
Je me serais moquée te toi et de tes chaussettes juste sur le bout de tes pieds. J'aurais ri de te voir faire le zouave et de t'entendre râler sur la présentatrice météo.
Non, non je ne t'en veux pas.
Aujourd'hui, je parle assez peu de toi, ou alors de façon détachée et je laisse paraître que la plaie est refermée.
Mais le sera-t-elle un jour ?
J'ai bien du dire quelques mots à ton sujet, à mes amies proches mais jamais plus d'une phrase, qui dit que tu me manques... mais que voilà c'est comme ça...
Trop pudique pour verser une larme... poursuivons donc notre conversation... tiens sympa le nouveau Lévy hein...
La vérité, c'est que je ne sais pas où j'en suis par rapport à toi. Sans les photos, ton visage, peu à peu s'efface... Je prends des années mais toi tu restes jeune. Mes souvenirs sont ceux d'une petite fille, ceux de la jeune fille, où sont-ils ?
Je me revois... mes pieds sur les tiens et quelques pas de danse.
Moi sur tes épaules et je joue à te cacher les yeux.
C'est Noël et tu fais un feu dans la cheminée.
Tu t'endors après manger, ton livre tangue mais tu le retiens.
Tu te mets au roller et tu espères être plus rapide que ton fils... Tu finis le bras cassé... Oui oui tu as de l'orgueil !!
C'est l'été et au bout de deux heures, tu es bronzé.
J'ai 16 ans et tu m'apprends à conduire.
J'ai 10 ans et je t'offre une médaille du meilleur papa.
Tu m'appelles "ma feuille" parce que je suis née en automne.
C'est peut-être le fait que tu sois parti qui ravives mes souvenirs de môme. Mais la jeune adulte que j'étais garde peu d'images en tête.
C'est plutôt flippant et surtout culpabilisant. Comme si je te laissais sortir de ma vie alors même que je souhaiterais plus que tout te voir devenir un vieil homme.
Tu ne seras pas là si un jour, un homme m'apprivoise et se lie à moi.
Tu ne berceras pas mon enfant.
C'est quand même une belle salope, la vie parfois.
Alors je me demande si je ne trouve pas l'existence plus dure sans toi.
J'apprends la vie toute seule maintenant. Personne ne peut te remplacer.
Pourtant je me suis endurcie mais la carapace est bien fine...
Dans mon appartement, il y a une photo de toi. Dans le précédent, il y en avait trois. Peu à peu je te laisse partir... Pourquoi ?
Je crois qu'il est temps de me libérer de ce poids, il est temps aussi d'enfin me dire que si j'ai raté beaucoup de choses ces dernières années, la faute n'en revient qu'à moi. C'est facile de se cacher derrière sa souffrance et ne plus bouger, il vaudrait mieux la crier et néanmoins avancer.
C'est la première fois que j'ose parler de toi ici, mais de toute façon, y a plus grand monde qui passe par là, alors je le fais pour moi et pour moi seule.
Certains y verront de l'impudeur... Peut-être après tout.
Ta chère petite femme tient le coup, elle est forte et elle s'est relevée, mais quand même... Pour elle aussi, tu aurais pu attendre un peu.
Tes garçons sont responsables et pères de famille, tu serais fiers d'eux.
Il n'y a que moi, ta fille tant aimée - oh, ne dis pas le contraire, hein, je sais que tu m'adorais - qui te causerais du souci si tu étais encore là.
Toujours toute seule eh oui... bah c'est juste parce que personne encore n'a su déceler mon formidable potentiel...
Toujours grassouillette eh oui... je n'ai pas perdu mon goût pour les bonnes choses, j'ai juste oublié le sens du mot "raisonnablement".
En somme rien de grave tu vois, on s'en sort pas si mal.
Tu sais, je fais un gros travail sur moi en ce moment. Toi, le cartésien... Je pense que ça te laisserais perplexe.
J'apprends à me reconquérir. A retrouver ma confiance en moi, je ne sais bigrement pas où elle est passée cette chienne mais je ne vais pas la laisser faire, non mais !
Enfin voilà, je ne voudrais pas te décevoir tu comprends... Toi l'indestructible déchu.
Je me rappelle de façon affreusement précise chaque minute de ce soir de Juin depuis ce sinistre coup de téléphone.
Mais cela fait plus de six ans et maintenant je suis debout.
Allons-y maintenant, je mets cap sur la vie, la joie !! Tu verrais, j'essaye d'être toujours souriante et de bonne humeur, je suis devenue une chic fille qui aime semer des pépites de bonheur autour d'elle. Je suis joyeuse et attentionnée.
A mon tour maintenant de profiter un peu ?
Oui, allez à mon tour.
Je te laisse t'éloigner, mais ne pars pas trop loin quand même, on ne sait jamais.
Salut papa.




8 commentaires:

  1. Y'a encore des gens qui passent ici , ton article est très émouvant, et je comprend le bien que ça peux faire de l'écrire, je n'y vois aucune impudeur, juste de l'amour <3

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    1. Oui ça fait un bien fou :-)
      Merci mon p'tit coraya... Ravie de te revoir, bisous !!!

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  2. c'est très beau ce que tu as écrit ma Cilou, je suis en train de pleurer devant mon ordi... je m'en rappelle aussi de ce fichu soir de juin... Je suis tellement triste pour toi, les années ont passé, mais l'absence est là. Tu n'as pas pu dire au revoir, c'est tout ce qui n'a pas pu être dit qu'il faut "porter"... Mais il faut avancer, et te dire que ton père serait toujours fier de toi.
    bisous ma Cilou et à très vite

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    1. Tu es mignonne ma belle, j'avais vraiment besoin d'écrire sur lui mais je ne veux pas faire pleurer ma mère... Alors j'ai attendu de changer d'adresse de blog... et voilà enfin... Ca fait du bien.
      Je t'embrasse très fort !!

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  3. je suis très émue, et ce très beau texte lui aurait plu … on n'oublie jamais quand on perd un être trop cher, le deuil est là discret en pointillé … comme toi 6 ans après, je ne me suis reconstruite qu'en apparence, le reste c'est mon enfer personnel.
    j'aime toujours te lire, et ayant moi même fait une pause de 4 mois sans blog, je t'ai enfin retrouvé sous un autre profil … donc des gens qui apprécient ton écriture, il y en a quelques uns. Courage ma petite Choco … Smacks du Chat

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    1. Oui en effet je pense que ça lui aurait plu...
      On ne peut pas sans cesse aux yeux des autres, dire à quel point ça fait mal alors on se tait... Le mot "enfer personnel"... C'est très bien trouvé.
      Et je vois qu'on est bon nombre à avoir fait une pause de blog !! Bon retour toi aussi le Chat !!!
      Bises

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  4. Ma Cécile, merci pour ce bel article qui m'a émue aux larmes...
    J'imagine ta douleur, mettre des mots dessus, c'est tellement courageux.
    Cécile, en effet, ton papa peut être fier de toi et même s'il n'est pas là, il est dans ton coeur pour toujours.
    Je t'embrasse très fort
    Claire

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    1. Merci pour ton compliment, forcément j'étais inspirée...
      Ton commentaire me touche beaucoup, merci ma Clairette, je t'embrasse fort aussi :-)

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