jeudi 11 octobre 2012

Mélanie

Ce soir là, le froid était glacial, Mélanie marchait d'un bon pas. Déjà vingt-deux heures, il lui fallait se hâter.
Sa journée avait été terrible et elle était épuisée. Aujourd'hui, madame Pineul lui avait demandé de nettoyer la cave, puis le grenier. Mélanie y avait passé des heures, ne ménageant ni son dos, ni ses mains gracieuses. Pas un merci en guise de récompense, tout juste quelques euros. En chemin, elle avait acheté une petite peluche pour Elisa. Une folie qui lui ferait la joie de voir sourire sa fille, d'habitude si triste, cela n'avait pas de prix. 
Remontant son col, elle longeait le canal, songeant à la nuitée à venir qui lui serait encore une fois si pénible.
Soudain, une détonation au loin la fît sursauter. La violence de ce monde auquel elle appartenait lui faisait froid dans le dos. Elle préféra ne pas penser à la scène qui devait venir de se produire et chassa l'image de son esprit. 
Elle arriva au foyer en retard et se trouva face à la grille cadenassée, elle fît donc le tour et entra par une porte dérobée, sans bruit, telle un escargot.
Elle grimpa les marches doucement, chacune grinçant sous ses pas, risquant de réveiller ses camarades. 
Elle pénétra dans sa petite chambre et y trouva Carole et son fils assoupis ainsi qu'Elisa, sagement endormie dans son petit lit à barreaux. Elle était si petite, si jolie, si fragile. Elle lui caressa la joue et y déposa un baiser.
Mélanie sentait les larmes monter mais elle n'avait pas le temps de pleurer sur son sort. Aussi, elle pris quelques affaires et sortit de la chambre.
Elle rejoignit la salle de bain commune, plus animée. D'autres filles, comme elle, faisaient leur toilette à cette heure tardive. L'ambiance était joyeuse, comme si le fait d'être ensemble faisait oublier la situation.
A la
communauté Sainte-Anne, chaque fille était accueillie, logée et nourrie, elle et son enfant. Toutes étaient pauvres. Délaissées par leur compagnon, abandonnées sans un sou par leur famille. Toutes connaissaient la rancune. Aucune n'était éduquée. Le foyer était vétuste et mal ventilé mais il était leur seul logis.
Ensemble, elles se sentaient fortes. Seules, elles étaient vulnérables. Au sein du foyer, elles étaient en sécurité, il représentait l'unique lieu de paix et de quiétude. Une sorte de barrière anti-choc contre la dureté de l'extérieur.
Mélanie avait quitté la rue et y vivait depuis deux mois. Elle s'était fait des amies et avait enfin trouvé un toit pour sa fille. Mais elle n'avait pour gagner de l'argent que la force de ses bras, la sueur de son front et la beauté de son corps.
Une fois douchée, elle se maquilla et s'habilla. Une tenue bien trop légère pour la saison. Une jupe trop courte, des collants fins, des chaussures rouges à hauts talons, un débardeur trop petit laissant entrevoir son nombril, un soutien gorge si pigeonnant que parfois l'un de ses tétons tentait de s'échapper, et une simple veste en faux cuir.
Ainsi affublée, Mélanie détestait son reflet dans le miroir. Elle croisa le regard ému de ses amies avant de quitter le foyer, une silhouette évanouie dans la nuit.
Elle prit le chemin du centre ville. Les rues étaient bondées et Mélanie fixait le sol afin de ne pas voir les yeux réprobateurs des passants. Il régnait une odeur d'épices quand elle traversa le quartier des restaurants. Elle avait faim mais qu'importe. Un marchand de gaufres attira son attention. Que de choix ! Chocolat, caramel, cacahuète, sirop d'érable, chantilly... Bigre... Comme elle en avait envie... Puis il y eut aussi ce restaurant antillais, cela sentait bon et lui rappelait la cuisine de son papa. Elle s'arrêta un court instant et prêta l'oreille : on pouvait entendre la musique, du zouc, lui sembla-t-elle et elle songea à entrer juste une minute pour se réchauffer. 
Mais non, elle le savait, cela ne lui était pas permis.
Autour d'elle, des familles, des enfants, des "gens biens" comme elle se plaisait à le croire, avec une vie différente de la sienne. Des gens qui travaillent et paient leurs factures, des gens aimés. Des gens heureux. Quelle contraste entre ces deux univers, pensa-t-elle, tout en rêvant qu'un jour, elle serait elle aussi une de ses personnes.
Prise d'un coup de blues, elle reprit son chemin. Son dos endolori la faisait beaucoup souffrir, elle aurait eu besoin d'un massage, mais au lieu de cela, elle partait comme chaque soir s'abandonner aux bras des hommes balourds et discourtois aux regards vitreux.
Mélanie avait quitté le centre ville, elle longeait à présent des ruelles plongées dans la pénombre et parvint finalement rue du bois, la destination des femmes sans vertu. Elle se redressa, gonfla la poitrine et adopta une démarche provocante. Son succès ne tarda pas. Un véhicule s'approcha et se mit à rouler à son rythme. La vitre passager se baissa, la voiture s'immobilisa, invitant Mélanie à y entrer, ce qu'elle fit. 




Ceci est ma participation au jeu d'écriture "Des mots, une histoire", organisé par Livvy
Les mots étaient : nuitée - zouc - cadenasser - blues - vitreux - ventiler - bigre - communauté - épices -  s'abandonner - pénombre - anti-choc - téton - escargot - érable - rancune - massage - détonation - rouler - évanoui.


25 commentaires:

  1. Tu écris merveilleusement bien tu sais!C'est un texte poignant que tu nous écris la, il m'à beaucoup plu..et émue !Merci pour ce moment de lecture ma bichette <3

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    1. Merci ma belle...
      Je ne suis pas satisfaite de certains passages mais globalement, j'aime assez ce texte (ouah, je me suis fait un compliment !!) et j'ai aimé l'écrire.
      Bisous

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  2. On ne s'attend pas au mérier de Mélanie, très bien vu ! ;)

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    1. Oh c'est vrai ? Je n'avais pas l'impression d'avoir laissé du suspense, c'est cool

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  3. ouaou......
    Superbe....
    tu sais que je m'appelle Mélanie IRL?
    Tant de femmes dans les rues, tant de misere dans notre monde...
    et pourtant tant d 'maour et de coeur dans beaucoup d'entres elles.
    Bien ecrit, tu touche là une realité par tes mots.
    Merci pour ce moment
    Pomme

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    1. Ah eh bien non, je ne connaissais pas ton prénom !!
      Merci pour ton commentaire Pomme, l'idée m'est venue tout de suite, je ne sais même pas pourquoi.
      Bisous

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  4. c'est si triste... cela m'a beaucoup touché, la peine de cette femme, sa situation et cela rappelle encore combien la vie n'est pas la même pour tous et est inégale...la vie quoi !
    très bien écrit cela m'a beaucoup plu bisous ma choco chérie <3

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    1. Merci ma belle, je vois que ce texte a plu et a touché... J'en suis surprise mais heureuse. Ce qui est sûr c'est que je me suis attachée à Mélanie en l'écrivant.
      Plein de bisous ma petite Laure !!

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  5. c'est très bien écrit comme d'habitude en fait et je m'attendais pas du tout à ce métier là non plus !
    Elodie

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    1. Ah c'est vrai ? Bah écoute, c'est cool, je ne me suis même pas rendue compte que j'avais ménagé le suspense !!
      Bisous Elo !

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  6. Une tres belle histoire ma Cecile. Thumbs up comme on dit chez nous!
    Une histoire remplie de delicatesse, de tendresse, tres triste mais si reelle pourtant, pour trop de femmes encore.
    Bises

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    1. Bah oui, je ne sais pas d'où m'est venu l'envie de parler de ça, en fait ce sont les mots qui m'ont inspiré l'idée, mais maintenant avec le recul, j'avoue, j'aime bien mon texte. Incroyable hein !!
      Gros bisous, à très vite !

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    2. Incroyable mais vrai!! On va feter ca dis moi.......

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  7. Une histoire très triste, écrite avec beaucoup de sensibilité. C'est un comble et une véritable injustice qu'il y ait dans le monde des filles obligées de vendre leur corps pour pouvoir survivre.

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  8. Encore un métier que je n'aurais pas aimé faire :lol:
    Après les escargots de Lilou, je suis immergée dans un drôle de monde...
    Mais l'idée est originale et c'est bien d'en parler. Par contre, ça fait toujours débat...
    Bon we & bisous d'O.

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    1. Oui, l'idée n'était pas bien sûr de faire naître un débat, juste de dresser le portrait d'une personne.
      Merci pour ton comm' :-)

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  9. Valentyne ( écho des ecuries)12 octobre 2012 à 21:44

    Si triste ton texte ... Très émouvante cette Mélanie qui se bat pour sa fille :-)

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    1. Oui, moi aussi au fil de ce que j'écrivais je me suis mise à aimer Mélanie, c'es fou d'ailleurs.
      Merci Valentine, désolée pour la tristesse.
      Bisous !

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  10. Un texte magnifique pour un sujet délicat, une belle plume, c'est bouleversant et pourtant des comme Mélanie il y en plus que l'on croit... nôtre monde est encore cruel... et pourtant ce dit civilisé.
    Merci pour cette image de nôtre société si bien décrite.
    Bonen soirée
    @mitié

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    1. Merci pour le compliment Covix,
      Bonne journée,
      Bises

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  11. Tu l' as bien dépeinte, ta Mélanie et son désespoir.

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