mercredi 12 septembre 2012

Joséphine

Joséphine se hâtait. Du moins tout autant qu'il est possible de se hâter à quatre-vingt deux printemps.
Ce soir elle recevait Jérémy et Sophie, et en bonne mamie gâteau, elle voulait leur faire plaisir en les régalant de ses bon petits plats.
Chaussée de ses tennis favorites, celles dans lesquelles ses pieds déformés prenaient leur aise, elle longeait le petit port de pêche, puis les maisons de pierre aux hortensias fleuris avant d'arriver au marché. C'est qu'elle avait la ligne Joséphine et était encore dynamique pour son âge.
Elle acheta de la crème et des herbes et s'en alla vaillamment chercher deux homards afin de réaliser ses fameuses verrines dont raffolait tant Sophie. Elle prit moult pincettes pour attraper les bestioles mais en vint à bout et régla le marchand de poisson.
Soudain, un jeune garçon juché sur roulettes la bouscula sans ménagement et déguerpit sans demander son reste. Pas même un "désolé madame" se dit Joséphine, décontenancée. Les jeunes ne sont plus ce qu'ils étaient. 
Reprenant ses achats, elle fît halte devant l'étal de Simone, qui vendait de la vaisselle anglaise. Comme à l'accoutumée, elle fût tentée mais comme d'habitude, elle se ravisa. Non, elle n'avait pas besoin de renouveler ses assiettes. Les siennes étaient en porcelaine et encore en parfait état. Ce serait donc pour une prochaine fois, peut-être.
Revenant à son repas du soir, elle prit quelques fruits et légumes frais et passa à la boulangerie acheter une Marquise. Le dessert préféré de son petit fils.
Toute guillerette mais d'un coup prise de fatigue, elle alla se reposer un instant sur un banc. Le village était petit, aussi, beaucoup de passants la saluaient ou lui proposaient de l'aide, qu'elle refusait systématiquement.
Joséphine en avait vu d'autres, faire le marché un samedi matin était une bagatelle pour elle, même si ses forces, peu à peu déclinaient. 
Comme souvent lorsqu'elle se laissait perdre dans ses pensées, les souvenir affluèrent. Alors qu'elle observait une jeune fille brune sourire à son compagnon, elle se remémora le temps où elle aussi, avait été jeune et belle. Dans sa jeunesse, beaucoup d'hommes lui avait fait la cour, tant elle était jolie.Mais un seul avait trouvé grâce à ses yeux. 
Paul.
Paul avait été l'homme de toute une vie. Leur amour avait été passionnel, puis avait pris avec le temps une autre tournure. Il était devenu un roc, un pilier inébranlable et rassurant. Tous deux avaient foi en l'autre. Les sentiments qui les unissaient avaient été plus forts que la guerre, plus fort que les malheurs, plus forts que la misère, plus forts que l'exil. Même déracinés, Paul et Joséphine s'aimaient. Ils ne se quittèrent jamais.
Au retour de l'Algérie, ils avaient travaillé dur. Elle, enseignait, lui, était maçon. 
Plus tard, au cours des années soixante-dix, alors que leur fils unique était parti étudier à la capitale, ils avaient créé ensemble leur entreprise familiale.
Le concept était nouveau et fonctionnait à merveille depuis déjà plusieurs années lorsque Paul tomba malade. Joséphine avait alors revêtu plusieurs casquettes, remplaçant son mari la journée, s'occupant de lui le soir. Et ce jusqu'au dernier jour.
Toujours assise sur son banc, un sourire triste aux lèvres, les yeux embués, elle repris ses esprits. "Ne te laisse donc pas aller ainsi !" songea-t-elle.
Elle se releva et repartît vers sa maison le coeur plus lourd qu'à l'aller mais fermement décidée à retrouver le sourire avant l'arrivée de ses petits loups comme elle aimait les appeler.
Le petit Paul aussi serait là, haut comme trois pommes. Comme elle avait été émue lorsque Jérémy lui apprit que le petit se prénommerait Paul. Elle avait cru à un lapsus de sa part mais non. Alors bien sûr, elle était folle de son arrière petit fils, qui faisait d'elle ce qu'il voulait !!! Le mois passé elle l'avait emmené au zoo, et il avait insisté pour entrer dans l'enclos des chèvres. Elle le trouvait encore trop petit mais elle avait cédé et petit Paul n'avait été nullement impressionné. Il avait couru joyeusement parmi les chevrettes, tandis qu'elle tentait maladroitement d'apprivoiser l'une d'entre elle avec des morceaux de pain. La petite chèvre avait pris peur et l'avait alors mordu suffisamment fort pour que Joséphine s'enfuit à toutes jambes, devant son arrière petit-fils tout étonné ! D'ailleurs, elle se rendit compte que l'on voyait encore un petit peu la trace de la morsure
Sa rêverie l'avait gentiment accompagnée tout le chemin durant, aussi se retrouva-t-elle chez elle s'en trop s'en être rendue compte.
A peine arrivée, Joséphine ôta ses tennis, enfila ses mules, de délesta de son médaillon nacré et s'attaqua gaiement à la cuisson des homards.
Ce soir serait une belle soirée, c'était assuré.



Ceci était ma participation au jeu d'écriture "Des mots, une histoire" organisé par Livvy.
Les mots imposés étaient : tennis, fatigue, désolé, verrine, bagatelle, anglaise, brune, médaillon, hortensia, lapsus, concept, roulette, pincette, morsure, passionnel, exil, ligne.
J'espère que cela vous aura plu !!!




17 commentaires:

  1. une très belle histoire pleine de souvenirs que tu as écrit là. J'aime bien ce côté nostalgique et cette ouverture sur le futur avec son petit fils ;) bisous ma choco ;)

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    1. Merci Chanone !!
      C'est marrant, celui-ci, il est venu assez vite alors que d'habitude, ça me prend des heures !!!
      Bisous ma belle

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  2. Ton histoire m'a mis la larme à l'oeil, j'adore cette façon de conter!!! Ca me rappelle un peu les livres de Claude Michelet et Christian Signol que je dévorais!!!
    Merci de ce beau partage, j'essayerais dans la mesure du possible de revenir te lire!!!
    Bonne soirée.
    Domi.

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    1. Oh mille merci, je suis très touchée, reviens quand tu veux Domi :-)

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  3. Je pense n'avoir pas laissé la bonne adresse de mon blog alors la voici si tu voulais découvrir ma participation au défi de Olivia!!!
    http://dimdamdom59.over-blog.com
    Bonne soirée.
    Domi.

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  4. Une mamie toute guillerette qui donne la pêche , à la fois tournée vers le passé mais l'esprit bien ancré dans le présent :-)

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  5. Tu peux être rassurée: c' est une jolie histoire que tu nous racontes là!

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  6. bizarre j'avais laissé un comm , vendredi matin ;-) mais il a disparu ;-(
    J'aime bien cette Joséphine , sa tête sur les épaules, et son regard sur la vie ;-)

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    1. Non, tu vois, il n'avait pas disparu !!
      Merci d'être revenue, bonne journée !

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  7. très sympathique cette Joséphine très attachante

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    1. Oui je l'aime bien moi aussi, on aimerait l'avoir comme mamie !

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  8. Ah, j'en aurais bien mangé des homards, moi!

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    1. Oui et puis Joséphine, elle fait de la bonne mayonnaise maison pour accompagner !!

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  9. Une très jolie histoire. Quel beau moment-souvenir ... On s'y glisse sans heurt grâce à ta belle écriture !

    Coincoins souvenus

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